Après près de 50 ans d’absence, la fabrication des instruments à résonateur National est relancée en 1989 par Don Young et McGregor Gaines, avec l’aide technique de Brob Brozman, qui créent la nouvelle marque “National Reso-Phonic”. Renaissent miraculeusement les Single Cone, Tricone, Spider, mandolines et ukulélés, utilisant un mode de fabrication irréprochable associant technique artisanale et technologie de pointe. Les ukulélés sont beaux comme des camions. Sort en 2011 un ukulélé entrée de gamme qui fait bonne figure, le NRP. On me le met entre les pattes. Alors ?
Succinct historique du réso
Le ukulélé à résonateur est la déclinaison de la guitare en métal à résonateur inventée dans les années 20 par John Dopyera (1893-1988) et George Beauchamp (1899-1941) pour apporter au joueur un volume sonore supérieur et se faire entendre au milieu des cuivres et des percussions alors que l’amplification électrique n’est pas encore inventée. Ils créent ensemble National Company à Los Angeles.
Le mode d’amplification acoustique est inspiré par la technologie des phonographes d’Edison avec le fameux cornet ainsi que des meubles gramophones de Victrola. Les premiers instruments utilisant un cône en aluminium qui transmet le son à un cornet apparaissent vers 1910 et l’histoire commence par l’expérimentation sur un violon ! Dans les années 20, Sol Hoopi est LA référence des guitaristes venus de Hawaï. Il joue sur National et popularise le jeu sur une guitare en métal posée sur les genoux, jouant un style inspiré de celui de son royaume d’origine, mais aussi mêlé de jazz et de blues. Son succès et celui de sa musique est tel que la plupart des guitaristes qui abordent ce style le joue sur National et en particulier sur le modèle doté de trois cônes en aluminium dit “Tricone”. Évidemment le ukulélé n’est pas loin, instrument traditionnel de l’orchestre hawaïen, il trouvera rapidement dans l’atelier de National sa déclinaison à résonateur en Large Body, Small Body et même en quelques exemplaires d’une version Tricone (exceptionnelles photos et jusqu’aux fac-similés des brevets à découvrir sur l’incontournable mine d’or qu’est http://www.notecannons.com/index.html, malgré sa navigation hasardeuse.
En 1928 John Dopyera quitte National pour fonder avec son frère Rudy une nouvelle compagnie, Dobro Corporation (DOpyera BROthers) qui s’installe à Chicago où il invente un système de cône inversé doté d’une structure en acier en “toile d’araignée” surélevée d’un sillet, ensemble appelé Spider, dont il cède d’ailleurs le brevet (1933) à son frère Rudy pour éviter les ennuis avec son ancienne société, National.
George Beauchamp est licencié de National lors de la réorganisation de l’entreprise. Il s’associe alors à son ami Adolph Rickenbacker pour créer la compagnie RO-PAT-IN qui deviendra Electro String Instrumental Corporation ou apparaîtra rapidement le logo Rickenbaker à cause de la notoriété du frère d’Adolph, Edward Vernon, un as du combat aérien de la grande guerre devenu pilote de course émérite…
Mais c’est une autre histoire (qui n’a rien à faire ici, diable) ! En 1934, après quelques années de rude concurrence entre les 2 marques (Dobro, très populaire, devient à l’époque le nom générique pour les instruments à résonateur, et il en reste encore des traces aujourd’hui, nom de nom !), les frère Dopyera reprennent le contrôle de National et fondent National-Dobro Corporation. La fabrication des instruments cesse en 1941 avec l’entrée en guerre des Etats-Unis.
La marque historique est relancée en 1989 à l’initiative de Don Yound (décédé en 2016) et McGregor Gaines qui, avec l’aide technique de Brob Brozman qui leur permet de désosser des instruments vintage pour en prendre les cotes précises, s’installent en Californie à San Luis Obispo. Ils créent la nouvelle marque “National Reso-Phonic”. Renaissent miraculeusement les Single Cone, Tricone, Spider, mandolines et ukulélés dans des quantités de finitions incroyables ainsi que des rééditions de modèles rares à des tarifs plus accessibles que les originaux peu abordables, toujours fabriqués avec un mode de fabrication irréprochable associant techniques artisanales et technologie de pointe. Par ailleurs, la célèbre marque de guitare Gibson rachète le nom Dobro en 1993 et fabrique des guitares avec le fameux Spider alors que sa propre filiale Epiphone fabrique les instruments à système biscuit.
L’histoire du réso peut continuer…
Le NRP maintenant…
Aspect général
du système à biscuit
et du uke qu’il y a autour
Sur un système résonateur à biscuit, la vibration de la table d’harmonie est remplacée par la vibration d’un “cône en aluminium” d’une quinzaine de centimètres, posé dans le corps de l’instrument (qui peut être en métal, acier ou laiton, en bois, érable, acajou, koa… ou même en boîte à cigares). Le cône est recouvert par un couvercle, le “coverplate”, qui est percé en son centre pour laisser dépassé le “biscuit” (une pièce en bois – érable dur souvent – en forme de disque surélevé d’un chevalet) qui est soit vissé soit collé au sommet du cône en aluminium et sur lequel viennent reposer les cordes. Ce biscuit est recouvert d’un “pont” en métal (handrest) qui permet de “sécuriser” cette zone en protégeant le cône de l’écrasement et accessoirement de poser la main.
Le ukulélé à résonateur est différent du ukulélé traditionnel : autre look, autre timbre. L’intérêt du ukulélé à résonateur est de pouvoir être joué de différentes façons : soit avec la douceur traditionnelle, soit de manière plus percussive. Il sera joué soit aux doigts tout en finesse et en douceur soit avec des onglets (pouce/index/majeur) à la manière de Bob Brozman, qui apporteront alors bien plus de volume sonore et surtout une attaque ébouriffante !
Le son reste évidemment “métallique”.
La série NRP (pour National Reso-Phonic) est une série d’instruments “d’entrée de gamme”. Le modèle de ukulélé n’existe pour le moment qu’en version vintage steel alors que les guitares sont elles déclinées en versions peintes de couleurs variables. On peut dire que ce uke est la déclinaison du Triolian réapparu début 2010, cette fois en version non peinte. Le corps est en vintage steel, soit de l’acier nickelé légèrement brossé (“stressed”). On retrouve la même tête rectangulaire et l’absence de “fioritures”, essentiellement : nom de la marque gravée sur la tête, pas de filets sur le bord de touche, pas de gravures sur le corps (absence de la fameuse évocation sur style 0 de la plage de Oahu à Hawaii qui n’a d’incidence que sur l’inconscient du joueur, juste du spirituel…). Le manche est agréable, fin. C’est un format concert comme tous les exemplaires qui sortent de l’atelier depuis quelques années. J’aime la proportion des anciens soprano avec ce manche plus court, mais je peux avouer que le format concert est confortable et polyvalent, avec largement de quoi faire si on lorgne vers la 20ème case ! Le talon, différent de celui du style 0, est ici moins fin, moins élégant, mais sans aucun impact sur le jeu et le son. La touche est en palissandre avec des repère en MOP (Mother Of Pearl).
Impec’ les petits repères sur le bord de touche. L’aspect général est très agréable par la sobriété du corps de l’instrument : le métal brossé qui lui confère ce style “un peu usé” rend la prise en mains rassurante et les marques de doigts moins visibles que sur le nickel poli “shiny” ! C’est agréable.
Son
Le son est métallique, rappelons-le ! Il y a cette brillance du métal, cette particularité qui fait la différence d’avec le bois et qu’on a envie d’apprécier en s’écoutant jouer avec cet autre timbre… C’est intéressant.
Alors, doigts, médiator, onglets ? Tout est autorisé ! Clair que le médiator limite les possibilités de jeu et empêche les strumms traditionnels du ukulélé mais permettra les soli rapides (pour quoi faire ? T’es pressé ? Personne t’écoute quand tu joues doucement ? T’as perdu ta gratte ou bien ?). Je suis quant à moi assez sensible au son de ce type de ukulélé qui est aussi lié au jeu plus agressif qui est permis grâce à la solidité de l’instrument par rapport à un fragile uke en bois. On peut brutaliser l’instrument sans angoisse de traverser la table, il encaissera. Autre son, oui, mais donc aussi autre façon de jouer possible, autre répertoire, autres références… C’est super le réso !
Pour évoquer vite fait les cordes avant que vous me posiez la question… Brozman affirme que les ukes National de série n’ont JAMAIS été montés de cordes acier mais uniquement avec des boyaux ou cordes nylon. Il apparaîtrait toutefois d’après les “milieux autorisés” que le premier réso-uke de National est le modèle Tricone, mandoline ou ukulélé (avec différence de tête et de cordier selon le nombre de cordes), était équipé de cordes métal, sans doute à cause de la base mandoline. Suivirent la déclinaison des premiers Large Body qui auraient aussi été d’abord équipés de cordes de ce type.
Mais il s’agit bien des premiers modèles, peut-être des prototypes. Personne ensuite n’a vu jamais de Small Body avec des cordes acier. Le cône des National n’est pas conçu pour supporter la pression de l’acier, et pour en revenir à l’époque actuelle, il est conseillé de ne pas mettre de cordes avec un tirant trop fort. Ce n’est ni conseillé, ni utile pour faire sonner le cône. Le choix des cordes dépendra donc du toucher, de la section ou de la couleur ! Certains préconisent de simples nylon Hilo (Mr Evan de Beltona) ou D’Addario, d’autres des Aquila Nylgut, d’autres du fluocarbon Worth ou Savarez Alliance…
L’incidence sur le son ? Pas grand chose selon moi, sinon l’incidence qu’auront les cordes sur votre jeu (oh que sensibles sont le bout de vos petits doigts !). Alors je vous préconise toutes les expérimentations possibles mais aussi le jeu, le jeu, le jeu. Ménageons nos cônes et tabassons nos cordes.
Réglage, fiabilité
Le débat sur la fragilité du cône démarre ici. Et les débats, on sait, c’est pas ici que ça se passe !
Soit, il s’agit de la pièce fragile de ce tank tout-terrain. Cette fine feuille d’aluminium repoussée s’enfoncera à la première pression superflue et maladroite venue. Mais ça n’arrive pas souvent. On démonte et on teste avec le pouce la rigidité, et paf. On s’accorde 5 tons au-dessus avec des Worth extra strong, et chploutch. On surélève le cône pour relever l’action générale grâce à de la feutrine ou du liège placé dessous, et patatra… Où simplement il avait une faiblesse ou un défaut de fab et un jour il s’affaisse. C’est le cœur du uke. C’est fragile ça le petit cœur. “Tout le monde vous le diront”, comme on dit dans l’armée (le ukuléliste est parfois un pacifiste sectaire). Si ça lâche, on change. Coût de l’opération +/- 60 USD. J’ai expérimenté récemment un réglage très hasardeux (j’adore le bricolage extrême) qui a déformé le cône d’un Style 0 et suis en attente de deux modèles : un nouveau modèle National (USA) et un modèle High Country de DeltaRC (UK) pour les comparer après transplantation. Ça va être passionnant. Ou pas. Je vous dirai.
On dit qu’un réso c’est difficile à régler. Tout le problème vient de ce cône qui reçoit la pression des cordes par l’intermédiaire du biscuit. S’il s’affaisse un poil, ce cône, c’est parti pour les buzz à foison. Automatiquement.
Le reste ne bougera pas. Jamais de la vie. C’est du robuste, comme un canon de 20mm !
Conclusion
Qui dit ukulélé à résonateur dit Bob Brozman, incontournable figure du réso, mais aussi Del Rey, James Clem, parfois Peter Brooke-Turner ou Hester Goodman du UOGB, Yann Yalego et Aël par chez nous… et il y en a sûrement beaucoup d’autres qui ne me reviennent pas à l’esprit. Même James Hill (LE James Hill du Festival Ukulélé Boudoir 2011) s’est fait faire un résonateur ténor squareneck (manche carré) par Steve Evans de Beltona pour jouer en slide !
Qu’est-ce qui t’attire vers le réso ? La mode ? Ton super-héros qui joue dessus (silver surfer ?) ? Ta curiosité dévorante ? La référence culturelle et historique car c’est ton truc et en plus tu es abonné à Historia depuis tes 11 ans et que le donc “le passé éclaire le présent” ? La solidité (pour taper sur ton frère)? Parce que c’est froid et que tu vis dans un pays chaud (Pulco, Pulco…) ? Le résonateur appartient à un bout de l’histoire qui se déroule juste durant les deux décennies de l’âge d’or du ukulélé (1920-1930). Il est incontournable de s’y pencher.
Alors il te faut un National Réso-Phonic, copie des modèles historiques ? Un Beltona, développé par l’anglais Steve Evans installé en Nouvelle-Zélande, qui avec un grand talent a réussi à réaliser un instrument au corps en résine très original, léger et ultra-puissant ? Et il y a aussi bien d’autres alternatives avec de nombreux modèles de luthiers aux Etats-Unis mais aussi en Angleterre avec le Resolele de Pete Howlett et les pièces détachées DeltaRC de Colin Oldham.
On a la chance d’avoir en France un orfèvre du résonateur, il s'”intitule” Mike Lewis. Sa griffe : Fine Resophonic. Ce magicien grand-breton réalise à Vitry avec ses doigts d’or de merveilleux ukulélés à système biscuit ou spider dans la plus pure tradition des modèles originaux (National ou Dobro) à un tarif parfaitement concurrentiel.
Chez National, la tendance est au développement de la gamme par des modèles légèrement plus accessibles comme le Triolian et ce NRP. Ce sont de bons résonateurs, loin de bas de gamme, qui proposent un timbre bien particulier très intéressant qui allie douceur à capacité à être bousculé pour se faire entendre au milieu du tohu-bohu des Cabarets du Uke mensuels à Paris, après l’avoir sorti de son bel étui rigide fourni.
C’est quand même la classe…
Fiche technique :
Année de fabrication : 2011
Lieu de fabrication : USA – San Luis Obispo
Style : Concert
Corps : Acier nickelé brossé
Manche : acajou
Touche : palissandre
Mécaniques : Grover 4B
Diapason : 381 mm
Sillet : os
Biscuit : Érable dur
Cône : National = aluminium 5,875 pouces soit 14,92 cm
Poids : 1020g
Prix : 2 700$ (prix 2020)
Étui rigide fourni