Martin & Co reste la référence, même pour une marque chinoise des plus dynamiques en matière de ukulélés à prix serrés. Développé pendant 18 mois par Ohana Ukuleles en étroite collaboration avec Ken Middleton, le représentant en Europe de la marque, ce modèle est décrit comme l’interprétation du Martin style 2 de la grande époque (20’s – 30’s) et il apparaît tout récemment dans les boutiques européennes. Alors on vous l’essaie.
Le défi de Ken Middleton proposé à l’usine Ohana est simple :
faire une presque Martin vintage à un prix abordable. Essayer de trouver un peu du charme des vieilles choses réputées et recherchées sur un instrument tout droit sorti des chaînes chinoises par un processus industriel très précis, bien loin des techniques des artisans luthiers aux mains d’or des établissements Martin & Co (depuis 1833 faut-il le rappeler, oui !). Alors possible ?
Les gars de Ohana ont cherché il y a deux ans un Martin à radiographier, analyser et disséquer (j’ai d’ailleurs refusé à l’époque de sacrifier un des miens !). Une fois trouvé le martyr, un Martin style 2 de1930, ils ont tenté d’en faire une « version chinese compatible », essayer en plusieurs étapes et prototypes successifs d’approcher les qualités essentiels de « l’étalon », en privilégiant toujours le prix bas.
J’avais eu l’occasion de jouer (quand je n’avais pas de verre de « vin wouge » à la main) sur un prototype de ce modèle en 2010 lors de la visite de Mr Middleton et avais déjà été impressionné par l’enthousiasme de Ken et par la qualité d’ensemble de ce uke (malgré un sillet de tête pas habitué à mes bends tortueux).
Aspect général
À la prise en main, on n’est pas désorienté : léger, forme traditionnelle connue, soprano à 12 frettes…
La teinte vernie de l’acajou est agréable, brun sombre, assez uniforme. La finition satin se veut évoquer un vernis ancien sur un bois un peu « usé », légèrement piqué de petits points pas mal fait du tout (voir photos).
Ils ont utilisé une feuille d’acajou très fine pour la table et le dos pour une bonne mise en vibration et un poids réduit, des sillets en ébène, bois très dur idéal pour cet usage et utilisé à l’époque par Martin. La touche et le chevalet sont, comme souvent, en palissandre. Le filet de rosace est un décalco, pas mal (je ne suis pas fan de ça et préfère souvent plus de rien à la place du faux). Les filets jaunis ou « ivoire » sont bien réalisés quoique que plus épais que sur un véritable style 2, mais l’esprit y est et c’est cette alliance de teinte qui fait le charme de ce uke : brun sombre et crème, c’est bien vu. Les mécaniques sont de bonnes Gotoh… Alors là c’est vrai qu’on aurait aimé quelque chose de plus original ou adapté : soit des boutons couleur ivoire, soit de luxueuses Pegheds®, mais ces secondes rendaient l’ensemble tellement léger qu’on risquait de le laisser trop facilement tomber (dixit Ken). Moi je veux des Pegheds® sur le mien (mais j’ai pas de K-38, celui-là a été gagné à la tombola du festival, et l’heureuse gagnante chanceuse mais absente à l’heure du tirage me l’a laissé une semaine en garde). Le profil du manche est bien, assez fin, pas autant que les Martin ou Kiwaya, mais c’est parfait, sans entrer dans le débat du manche trop fin ou trop épais, affaire d’habitude ou d’aspect sur un uke, largement moins essentiel que sur une six cordes… Ce manche est constitué en deux parties collées (manche + tête). Les frettes sont d’épaisseur moyenne et assez basses, c’est excellent pour un jeu en justesse et un vrai confort. Les trois points, repères de touche sont, disons, acceptables. Oui, des petits points c’est très joli et suffisant, mais ça doit-être plus compliqué pour l’usine…
Dernier détail : la taille de la rosace. Sans doute pour des raisons de son, de projection, elle est plus grande que sur le Martin de quelques millimètres et l’impression est accentuée par le filet décrit plus haut très marqué. Un peu dommage à mon goût de n’avoir pu respecter cette cote.
Les quelques réserves cosmétiques :
• Repères de touches trop gros.
• Pas de repères sur le bord de touche (mais là Ohana respecte l’original).
• Logo Ohana superflu sur la tête (mais faut pas trop en demander quand même).
• Etiquette blanche trop géante, donc trop visible dans le uke.
Son
C’est un vrai ukulélé avec du son dedans. C’est « vert » comme s’entend une fabrication récente en bois massif qui demande à mûrir entre les papattes à Lucien ou Josette. C’est donc un uke à coffre très honnête, qui reste précis et équilibré. Il est cordé en Nylgut, et comme pour chacun de nos ukes, il faut les remplacer (par des Fluocarbon par exemple), écouter, jouer, rechanger, re-écouter, re-jouer, oublier en jouant sur un autre de ses vingt-cinq ukes et le reprendre trois semaines après et recommencer… C’est une affaire de curiosité et sans en faire une obsession, c’est amusant et intéressant : une façon de trouver (parfois) l’équation (pour ne pas dire l’harmonie) parfaite entre le uke, les cordes et nos dix boudins qui nous servent aussi à emmener les chips goût bacon jusqu’à nos papilles quand on regarde un film (de uke ou pas) à la téloche.
Résultat : très bien. Grâce à la qualité des matériaux utilisés, la finesse de la table, les sillets, de bonnes cordes d’office… l’objectif n’est pas que visuel mais est bien d’avoir aussi le son Martin ! Plutôt bien joué. Je pourrais être trop critique car j’ai la chance d’avoir croisé de très nombreux modèles vintage de toute la gamme, mais c’est parfaitement inutile : on cherche ici un très bon compromis ou rapport qualité/prix comme on dit dans les réunions Tupperware, avec de l’inspiration en plus. Pour ce qui est du Mojo, de la magie, du sensuel, du fantasmatique ou gorique, on repasse dans 50 ans pour voir et entendre (moi je suis pas libre, j’ai championnat de Bingo à l’hospice avec la ferme intention de battre Bernard qui a déjà quatre victoire à la suite, ça m’énerve grave)…
Réglage, fiabilité
L’action est très bien. Les frettes bien polies. Les mécaniques sérieuses.
Alors pas grand chose à dire. Instrument juste. L’acajou massif ne demande qu’à vibrer. Aucun réglage à prévoir.
Odeur de la rosace
Etonnamment très agréable, fruité. Canard à l’orange ? Sont fort en parfum !
Conclusion
Voilà un uke à prix raisonnable et qui est bien inspiré : du massif, des efforts sur les matériaux et les épaisseurs, un style esthétique affiché et revendiqué, une finition qui tire vers le bien.
La concurrence n’est pas énorme sur ce terrain et c’est ce qui peut faire de ce uke un succès. Hamano propose depuis longtemps son H-100 assez équivalent et apprécié mais qui n’est pas plus joli et est un peu plus cher. aNueNue propose aujourd’hui des instruments intéressants, au design inédit ceux-là, dans cette gamme de prix.
Je connais la question que vous vous posez tous et que Albertine de St Lô (50) synthétise parfaitement : « Bonjour UB, ce SB-38 est-il le ukulélé idéal qui me permettra enfin de jouer comme… genre James Hill, qui est si beau, grand, gentil et barbu, et qui brosse si bien son instrument en parlant un français si craquant (grave morgane de lui) ? Il était trop mortel au festival Ukulélé Boudoir, encore merci de l’avoir amené jusqu’à nous. Le bonheur… vous êtres trop forts. Merci de me répondre vite, c’est bientôt mon anniversaire, et ma marraine m’a demandé ce qui pourrait me faire plaisir. Ma réponse : non. Quoique.
Alors voilà un ” Martin 2 Style ” convainquant, attrayant sans avoir besoin de débourser une somme importante et se poser des questions existentielles avant de jouer. Largement de quoi faire avec ce Ohana, pour commencer, pour emmener partout et qui peut même probablement durer, voir se bonifier dans le temps. Pour info, c’est le seul ukulélé « non vintage » qu’a utilisé Ukulelezaza pour l’enregistrement de son album « Painting the clouds with sunshine », une référence, non ? Alors si ce ukulélé vous plait, dans le style de…, vous pouvez foncer.
Fiche technique :
Année de fabrication : 2011
Lieu de fabrication : Chine
Fabricant : Ohana Ukuleles
Style : Soprano
Diapason : 350 mm
Finition : Satin semi-vintage
Corps : Acajou massif
Manche : Acajou massif
Touche : Palissandre
Sillets : Ebène
Chevalet : traditionnel à fentes
Nombre de frettes : 12
Mécaniques : friction Gotoh
Cordes : Aquila Nylgut
Poids : 340 g
Prix : 220 à 300€ (actualisation 2020)